L’année dernière, les scientifiques ont jeté un autre regard sur les données sismiques recueillies par les expériences de l’ère Apollo et ont découvert que le manteau inférieur de la Lune, la partie proche de la limite noyau-manteau, est partiellement fondu (par exemple, Apollo Data Retooled to Provide Precise Readings on Moon’s Core, Universe Today, 6 janvier 2011). Leurs résultats suggèrent que les 150 km les plus bas du manteau contiennent entre 5 et 30 % de liquide en fusion. Sur la Terre, ce pourcentage serait suffisant pour que le liquide se sépare du solide, remonte et fasse éruption à la surface. Nous savons que la Lune a connu du volcanisme dans le passé. Alors, pourquoi cette masse fondue lunaire n’entre-t-elle pas en éruption à la surface aujourd’hui ? De nouvelles études expérimentales sur des échantillons lunaires simulés pourraient apporter des réponses.
On soupçonne que les magmas lunaires actuels sont trop denses, par rapport aux roches qui les entourent, pour remonter à la surface. Tout comme l’huile sur l’eau, les magmas moins denses sont flottants et vont percoler au-dessus de la roche solide. Mais, si le magma est trop dense, il restera là où il est, voire coulera.
Motivée par cette possibilité, une équipe internationale de scientifiques, dirigée par Mirjam van Kan Parker de l’Université VU d’Amsterdam, a étudié le caractère des magmas lunaires. Leurs résultats, qui ont été récemment publiés dans le Journal Nature Geoscience, montrent que les magmas lunaires ont une gamme de densités qui dépendent de leur composition.
Mme van Kan Parker et son équipe ont pressé et chauffé des échantillons fondus de magma, puis ont utilisé des techniques d’absorption des rayons X pour déterminer la densité du matériau à une gamme de pressions et de températures. Ils ont utilisé des matériaux lunaires simulés, car les échantillons lunaires sont considérés comme trop précieux pour une analyse aussi destructive. Leurs simulants ont modélisé la composition des verres volcaniques verts d’Apollo 15 (qui ont une teneur en titane de 0,23 % en poids) et des verres volcaniques noirs d’Apollo 14 (qui ont une teneur en titane de 16,4 % en poids).
Des échantillons de ces simulants ont été soumis à des pressions allant jusqu’à 1,7 GPa (la pression atmosphérique, à la surface de la Terre, est de 101 kPa, soit 20 000 fois moins que ce qui a été atteint dans ces expériences). Cependant, les pressions à l’intérieur de la Lune sont encore plus élevées, dépassant 4,5 GPa. Des calculs informatiques ont donc été effectués pour extrapoler à partir des résultats expérimentaux.
Les travaux combinés montrent qu’aux températures et aux pressions que l’on trouve généralement dans le manteau lunaire inférieur, les magmas à faible teneur en titane (verres verts d’Apollo 15) ont une densité inférieure à celle du matériau solide environnant. Cela signifie qu’ils sont flottants, qu’ils devraient remonter à la surface et entrer en éruption. En revanche, les magmas à forte teneur en titane (verres noirs d’Apollo 14) ont une densité égale ou supérieure à celle du matériau solide environnant. On ne s’attendrait pas à ce qu’ils montent et entrent en éruption.
Puisque la Lune n’a pas d’activité volcanique active, la fonte actuellement située au fond du manteau lunaire doit avoir une densité élevée. Et, les résultats de Mme van Kan Parker suggèrent que cette fonte devrait être constituée de magmas à haute teneur en titane, comme ceux qui ont formé les verres noirs d’Apollo 14.
Cette découverte est significative, car on pense que les magmas à haute teneur en titane se sont formés à partir de roches mères riches en titane. Ces roches représentent la lie qui est restée à la base de la croûte lunaire, après que tous les minéraux plagioclases flottants (qui constituent la croûte) aient été pressés vers le haut dans un océan magmatique global. Étant denses, ces roches riches en titane auraient rapidement coulé à la limite noyau-manteau lors d’un renversement. Un tel renversement avait même été postulé il y a plus de 15 ans. Maintenant, ces nouveaux résultats passionnants fournissent un soutien expérimental à ce modèle.
Ces roches denses et riches en titane devraient également contenir beaucoup d’éléments radioactifs, qui ont tendance à être laissés derrière lorsque d’autres éléments sont préférentiellement absorbés par les cristaux minéraux. La chaleur radiogénique résultant de la désintégration de ces éléments pourrait expliquer pourquoi certaines parties du manteau lunaire inférieur sont encore suffisamment chaudes pour être en fusion. Mme van Kan Parker et son équipe supposent en outre que cette chaleur radiogénique pourrait également contribuer à maintenir le noyau lunaire partiellement fondu, même aujourd’hui !
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