Résultats anormaux d’ECG chez un jeune patient présentant un essoufflement inexpliqué

Défi d’ECG

Un patient masculin de 30 ans s’est présenté en signalant un essoufflement au repos depuis 6 mois. Il a nié tout autre symptôme ou antécédent familial de maladie cardiaque. Il était fumeur depuis 10 ans, mais avait arrêté récemment.

L’ECG de base (figure 1) montre une bradycardie sinusale avec des complexes QR dans les dérivations II, III et aVF associés à une élévation concave du segment ST et un complexe rs dans aVL associé à une dépression du segment ST et à des ondes T négatives. Il faut également noter la présence de complexes RS dans les dérivations précordiales septales (V2 et V3) associés à des ondes q remarquables et à des ondes R de faible voltage dans V5 et V6. De plus, il y a une encoche dans la partie médiane du QRS dans les dérivations II et aVF et une onde T diphasique dans V2.

Figure 1. ECG lors de la première visite du patient. On note la présence de complexes RS dans les dérivations précordiales septales (V2 et V3) associés à des ondes q remarquables et à des ondes R de faible tension en V5 et V6. En dernier lieu, mais non le dernier, il y a une encoche dans la partie médiane du QRS dans la sonde II et aVF et une onde T diphasique dans V2.

Quelle est l’étiologie sous-jacente la plus probable pour expliquer les résultats de l’ECG de base ?

Veuillez tourner la page pour lire le diagnostic.

Réponse au défi ECG

La principale anomalie de l’ECG représenté sur la figure 1 est la présence d’ondes Q proéminentes dans les dérivations inféro-latérales. Ce patient présente une nette prédominance des forces septales sur les forces latérales (Figure 2C et 2D).

Dans le cœur humain, 4 vecteurs de dépolarisation ont été rapportés. Les 2 premiers vecteurs sont liés à la dépolarisation du septum, du système de conduction (faisceau de His, branches du faisceau et fibres de Purkinje) et des fibres endomyocardiques du ventricule gauche, et les troisième et quatrième vecteurs sont plutôt des marqueurs de la dépolarisation de la paroi libre myocardique et épicardique du ventricule gauche (Figure 2A et 2B).

Figure 2. Représentation schématique de la dépolarisation biventriculaire d’un cœur normal avec le QRS correspondant dans la sonde II (A et B) en contraste avec la dépolarisation biventriculaire d’un cœur avec une hypertrophie asymétrique localisée dans le septum avec des changements significatifs du QRS dans la même sonde (C et D). L’activation du septum dans le cœur normal produit une petite onde Q dans les dérivations inféro-latérales ; la présence d’une hypertrophie sélective dans la partie supérieure du septum (comme dans ce scénario clinique) crée les prémisses d’une onde Q plus profonde dans les mêmes dérivations, suivie d’une onde R et d’une élévation du segment ST (qui doit être interprétée comme secondaire à l’hypertrophie décrite). La présence de complexes QR isodiphasiques dans les dérivations inférieures est attribuable à l’hypertrophie de la partie basale de la paroi antéroseptale, qui est perpendiculaire à ces dérivations. Les complexes RS dans V2 et V3 vont de pair avec la constatation d’une hypertrophie septale isolée, ce qui explique les tensions atténuées, également, du QRS dans les dérivations latérales. L’élévation du segment ST et la dépression correspondante sont secondaires à l’hypertrophie septale signalée, ainsi que l’onde T diphasique en V2. Enfin, la présence d’une encoche dans le QRS de la dérivation II est également une conséquence électrique possible de la fibrose qui peut être associée à l’hypertrophie.

La présence de complexes QR isodiphasiques dans les dérivations inférieures est attribuable à l’hypertrophie de la partie basale de la paroi antéroseptale, qui est perpendiculaire à ces dérivations. Les complexes RS dans V2 et V3 vont de pair avec la constatation d’une hypertrophie septale isolée, ce qui explique également les tensions amorties du QRS dans les dérivations latérales.

L’élévation du TS et la dépression correspondante sont secondaires à l’hypertrophie septale signalée et à l’onde T diphasique dans V2, également.

Enfin, la présence d’une encoche dans le QRS dans la sonde II est également une conséquence électrique possible de la fibrose qui peut être associée à l’hypertrophie.

La constatation intéressante est que ces ondes Q sont suivies d’ondes R d’amplitude similaire. Cela réduit la possibilité que cela soit lié à un infarctus du myocarde, car celui-ci a été confirmé par l’échocardiogramme et l’IRM cardiaque chez notre patient et, à ce titre, les ondes Q anormales étaient le résultat d’un vecteur anormal de dépolarisation. La configuration du QRS dans les dérivations inféro-latérales est en effet consécutive à une hypertrophie asymétrique de la partie antérieure du septum : l’augmentation de l’épaisseur du septum masque les forces de dépolarisation dans la paroi latérale et explique la raison de la présence d’un complexe QR.

L’autre constatation intéressante de cet ECG est l’absence des critères ECG classiques d’hypertrophie. Notre cas clinique souligne une fois de plus la faible fiabilité globale de l’ECG dans la détection de l’hypertrophie ventriculaire gauche, surtout lorsqu’elle concerne différentes régions du ventricule gauche à un degré variable, comme dans ce cas précis. Aucun des 27 critères d’hypertrophie ventriculaire gauche proposés dans les recommandations de l’American Heart Association/American College of Cardiology Foundation/Heart Rhythm Society pour la standardisation et l’interprétation de l’électrocardiogramme1 n’est rempli. Cela n’est toutefois pas totalement inattendu ; l’hypertrophie septale asymétrique a été associée à une incidence réduite des critères ECG d’hypertrophie du ventricule gauche et d’élargissement de l’oreillette gauche par rapport à l’hypertrophie concentrique (telle qu’elle est généralement présente chez les patients atteints de sténose aortique, par exemple).2 En outre, la présence d’un rapport R/S dans V1 de >0,2, comme c’est le cas dans l’ECG de notre patient, indique également une hypertrophie septale asymétrique.

Le diagnostic différentiel pour l’essoufflement incluait une maladie coronarienne, compte tenu d’une histoire de tabagisme. Pourtant, son échocardiogramme de base n’a pas démontré d’anomalies régionales du mouvement de la paroi ; par conséquent, un infarctus antérieur pour expliquer les ondes Q significatives a été exclu.

Par la suite, la résonance magnétique cardiaque a mis en évidence l’hypertrophie septale disproportionnée et le rehaussement tardif au gadolinium, confirmant le diagnostic (figure 3). Le rehaussement tardif a démontré de multiples petits foyers de rétention de contraste au sein du myocarde hypertrophique, présents sur les vues en axe court et en 2 chambres.

Figure 3. Résonance magnétique cardiaque. L’évaluation cinétique du myocarde démontre un myocarde hypertrophique focal de la base de la paroi antéroseptale. La paroi antéroseptale mesure 20 mm en diastole et s’épaissit à 23 mm. L’imagerie différée (post-contraste) montre de multiples petits foyers de rétention de contraste à l’intérieur du myocarde hypertrophique présent dans les vues de l’axe court et de la chambre 2. Le reste du myocarde est normal.

La résonance magnétique cardiaque peut être utile lorsque les modalités d’imagerie de première intention, comme l’échocardiographie, ne permettent pas d’expliquer complètement la symptomatologie ou un ECG anormal. La cartographie paramétrique permet désormais la visualisation spatiale et la quantification des changements en fonction des modifications des temps de relaxation T1, T2 et T2*(star) et du volume extracellulaire. La résonance magnétique cardiaque peut être importante pour écarter des conditions telles que la surcharge en fer ou la maladie d’Anderson-Fabry ou même des perturbations myocardiques extracellulaires telles que la fibrose myocardique, l’amylose cardiaque ou l’œdème myocardique.

Le patient a été initialement orienté vers l’implantation éventuelle d’un défibrillateur cardioverteur implantable, mais celle-ci a été jugée non indiquée en raison de son profil de risque faible, selon le calculateur de cardiomyopathie hypertrophique-risque-mort subite de la Société européenne de cardiologie3. Lors du suivi ultérieur, le patient se portait bien, et sa capacité d’exercice s’était améliorée, après avoir commencé un traitement par β-bloquants et inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.

Disclosures

Non.

Notes de bas de page

https://www.ahajournals.org/journal/circ

Julia Grapsa, MD, PhD, professeur agrégé de médecine clinique, Cleveland Clinic Lerner College of Medicine, cardiologue consultant, Cleveland Clinic Abu Dhabi, Al Maryah Island, Abu Dhabi, Émirats arabes unis 112412 ; ou Khalid Bakr, MD, associé clinique, Cleveland Clinic Abu Dhabi, Al-Maryah Island, Abu Dhabi, Émirats arabes unis 112412. Courriel com ou ae

  • 1. Hancock EW, Deal BJ, Mirvis DM, Okin P, Kligfield P, Gettes LS, Bailey JJ, Childers R, Gorgels A, Josephson M, Kors JA, Macfarlane P, Mason JW, Pahlm O, Rautaharju PM, Surawicz B, van Herpen G, Wagner GS, Wellens H ; American Heart Association Electrocardiography and Arrhythmias Committee, Council on Clinical Cardiology ; American College of Cardiology Foundation ; Heart Rhythm Society. Recommandations AHA/ACCF/HRS pour la normalisation et l’interprétation de l’électrocardiogramme : partie V : modifications de l’électrocardiogramme associées à l’hypertrophie des cavités cardiaques : déclaration scientifique de l’American Heart Association Electrocardiography and Arrhythmias Committee, Council on Clinical Cardiology ; de l’American College of Cardiology Foundation ; et de la Heart Rhythm Society. Approuvé par la Société internationale d’électrocardiologie informatisée.J Am Coll Cardiol. 2009 ; 53:992-1002. doi : 10.1016/j.jacc.2008.12.015CrossrefMedlineGoogle Scholar
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  • 3. Auteurs/membres du groupe de travail, Elliott PM, Anastasakis A, Borger MA, Borggrefe M, Cecchi F, Charron P, Hagege AA, Lafont A, Limongelli G, Mahrholdt H, McKenna WJ, Mogensen J, Nihoyannopoulos P, Nistri S, Pieper PG, Pieske B, Rapezzi C, Rutten FH, Tillmanns C, Watkins H. Lignes directrices 2014 de l’ESC sur le diagnostic et la gestion de la cardiomyopathie hypertrophique : la Task Force pour le diagnostic et la gestion de la cardiomyopathie hypertrophique de la Société européenne de cardiologie (ESC).Eur Heart J2014 ; 35:2733-2779. doi : 10.1093/eurheartj/ehu284CrossrefMedlineGoogle Scholar

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