Coureur des bois

Alors que les immigrants français vivaient et commerçaient aux côtés des autochtones depuis les premiers jours de la Nouvelle-France, les coureurs des bois ont atteint leur apogée durant la seconde moitié du XVIIe siècle. Après 1681, le coureur des bois indépendant a été progressivement remplacé par des voyageurs parrainés par l’État, qui étaient des travailleurs associés à des commerçants de fourrures autorisés. Ils voyageaient beaucoup en canoë. Les coureurs des bois ont perdu leur importance dans le commerce de la fourrure au début du 18e siècle. Pourtant, même si leur nombre diminuait, le coureur des bois s’est développé comme un symbole de la colonie, créant un mythe durable qui continuerait à définir la Nouvelle-France pendant des siècles.

Représentation de Samuel de Champlain (1574-1635) par Théophile Hamel (1870)

1610-1630 : premiers explorateurs et interprètesModification

Peu après avoir fondé une colonie permanente à Québec en 1608, Samuel de Champlain cherche à s’allier avec les peuples autochtones locaux ou Premières Nations. Il a décidé d’envoyer des garçons français vivre parmi eux pour apprendre leurs langues afin de servir d’interprètes, dans l’espoir de persuader les autochtones de commercer avec les Français plutôt qu’avec les Hollandais, qui étaient actifs le long du fleuve Hudson et de la côte atlantique.

Les garçons ont appris les langues, les coutumes et les compétences autochtones, et ont eu tendance à s’assimiler rapidement à leur nouvel environnement. Un an après avoir laissé Étienne Brûlé en 1610, avec une tribu huronne, Champlain lui rendit visite et fut surpris de trouver le jeune homme entièrement vêtu de vêtements autochtones et capable de converser couramment dans la langue huronne.Les premiers explorateurs tels que Brûlé éduquèrent les colons français sur les réseaux commerciaux complexes des autochtones, servirent d’interprètes et encouragèrent le commerce florissant de la fourrure. Entre 1610 et 1629, des dizaines de Français ont passé des mois à vivre parmi les Autochtones. Au fil du temps, ces premiers explorateurs et interprètes ont joué un rôle de plus en plus actif dans le commerce des fourrures, ouvrant la voie à l’émergence des coureurs des bois proprement dits au milieu du XVIIe siècle.

1649-1681 : riseEdit

Carte de la région des Grands Lacs de la Nouvelle-France, 1688 (par Vincenzo Coronelli 1650-1718)

Radisson & Les Groseillers établissent le commerce des fourrures dans le Grand Nord-Ouest, 1662, par Archibald Bruce Stapleton (1917-1950)

Édit du roi de France en 1681, limitant la participation au commerce de la fourrure

Le terme « coureur des bois » est le plus fortement associé à ceux qui se sont engagés dans le commerce de la fourrure d’une manière considérée comme hors du courant dominant. Au début de l’ère du commerce des fourrures en Amérique du Nord, ce terme était appliqué aux hommes qui contournaient les voies normales en s’enfonçant plus profondément dans la nature sauvage pour faire du commerce.

Traditionnellement, le gouvernement de la Nouvelle-France préférait laisser les autochtones fournir des fourrures directement aux marchands français, et décourageait les colons français de s’aventurer hors de la vallée du Saint-Laurent. Au milieu du XVIIe siècle, Montréal s’est imposée comme le centre du commerce des fourrures, accueillant chaque année en août une foire où les autochtones échangeaient leurs peaux contre des produits européens. Si les coureurs des bois n’ont jamais totalement disparu, ils ont été fortement découragés par les fonctionnaires coloniaux français. En 1649, le nouveau gouverneur Louis d’Ailleboust autorise les Français qui connaissent bien la nature sauvage à se rendre dans le « pays des Hurons » pour encourager et escorter les Hurons jusqu’à Montréal afin qu’ils participent à la traite. Bien que cela n’ait pas légalement sanctionné les coureurs des bois à commercer indépendamment avec les autochtones, certains historiens considèrent que l’encouragement de d’Ailleboust aux commerçants indépendants marque l’émergence officielle des coureurs des bois.

Dans les années 1660, plusieurs facteurs ont entraîné un pic soudain du nombre de coureurs des bois. Premièrement, la population de la Nouvelle-France a augmenté de façon marquée à la fin du XVIIe siècle, la colonie ayant connu un boom de l’immigration entre 1667 et 1684. Parmi les nouveaux engagés (domestiques masculins sous contrat), les soldats réformés et les jeunes immigrants de l’Europe sordide et de classe qui arrivent en grand nombre dans la colonie, beaucoup choisissent la liberté dans la vie du coureur des bois. De plus, grâce à la reprise des relations pacifiques avec les Iroquois en 1667, les déplacements à l’intérieur du Canada sont beaucoup moins périlleux pour les colons français. Les compagnies qui monopolisaient et réglementaient le commerce des fourrures depuis 1645, les Cent Associés et les Communautés des Habitants, font faillite après la guerre des Iroquois. La Compagnie des Indes occidentales, qui les remplace, est beaucoup moins restrictive à l’égard du commerce intérieur, ce qui permet aux marchands indépendants de devenir plus nombreux. Enfin, une chute soudaine du prix du castor sur les marchés européens en 1664 incite un plus grand nombre de commerçants à se rendre dans le pays d’en haut (la région des Grands Lacs), à la recherche de peaux moins chères. Au milieu des années 1660, par conséquent, devenir coureur des bois est devenu à la fois plus faisable et plus rentable.

Cette croissance soudaine a alarmé de nombreux fonctionnaires coloniaux. En 1680, l’intendant Duchesneau estimait qu’il y avait huit cents coureurs des bois, soit environ 40 % de la population masculine adulte. Des rapports comme celui-là étaient largement exagérés : en réalité, même à leur zénith, les coureurs des bois restaient un très faible pourcentage de la population de la Nouvelle-France.

1681-1715 : déclinModifier

En 1681, pour freiner l’activité non réglementée des commerçants indépendants et leurs profits florissants, le ministre français de la Marine Jean-Baptiste Colbert a créé un système de licences pour les commerçants de fourrures, connu sous le nom de congés. Au départ, ce système accordait 25 licences annuelles aux marchands voyageant à l’intérieur des terres. Les bénéficiaires de ces licences sont connus sous le nom de « voyageurs », qui transportent en canoë ou en portage les marchandises de la traite des fourrures pour le compte d’un commerçant ou d’une compagnie de traite des fourrures titulaire d’une licence. Le système des congés a donc créé le voyageur, l’équivalent légal et respectable du coureur des bois. Sous l’égide des voyageurs, le commerce de la fourrure commence à favoriser un modèle commercial plus organisé de l’époque, y compris la propriété monopolistique et la main-d’œuvre salariée. À partir de 1681, les voyageurs commencent donc à éclipser les coureurs des bois, même si ces derniers continuent de faire du commerce sans licence pendant plusieurs décennies. Suite à la mise en place du système des congés, le nombre de coureurs des bois a diminué, tout comme leur influence au sein de la colonie.

CompétencesEdit

Un coureur des bois qui réussissait devait posséder de nombreuses compétences, notamment celles d’homme d’affaires et de canotier expert. Pour survivre dans la nature sauvage canadienne, les coureurs des bois devaient également être compétents dans toute une gamme d’activités, notamment la pêche, la raquette et la chasse. Comme l’a décrit un jésuite, s’aventurer dans la nature sauvage convenait « au genre de personne qui n’avait aucune envie de parcourir cinq à six cents lieues en canot, pagaie en main, ou de vivre de maïs et de graisse d’ours pendant douze à dix-huit mois, ou de dormir dans des cabanes d’écorce ou de branches ». Comme la vie était à la fois physiquement ardue et illégale, il était extrêmement difficile de réussir en tant que coureur. Mais l’espoir de faire du profit en motivait plus d’un, tandis que la promesse d’aventure et de liberté suffisait à convaincre d’autres de devenir des hors-la-loi.

La traite des fourrures sur de longues distances et le voyage en canotÉditer

Canot manœuvré par des voyageurs passant une chute d’eau 1868, par Frances Anne Hopkins (1838-1919)

En raison de l’absence de routes et de la nécessité de transporter des marchandises lourdes et des fourrures, le commerce de la fourrure à l’intérieur du continent dépendait des hommes effectuant le transport sur de longues distances en canoë des marchandises de la traite des fourrures, et revenant avec des peaux. Les premiers voyages étaient dangereux et les coureurs des bois, qui faisaient le commerce en territoire inconnu, avaient un taux de mortalité élevé. En général, ils quittaient Montréal au printemps, dès que les rivières et les lacs étaient libres de glace (généralement en mai), leurs canots chargés de provisions et de marchandises à échanger. La route vers l’ouest, vers les terres les plus riches en castors, passait généralement par les rivières Ottawa et Mattawa ; elle nécessitait de nombreux portages terrestres. D’autres canoës empruntaient le haut Saint-Laurent et les lacs, passant par Détroit avant de se rendre à Michilimackinac ou à Green Bay. Cette route comportait moins de portages, mais en temps de guerre, elle était plus exposée aux attaques des Iroquois. Les puissantes Cinq Nations de la Confédération possédaient des territoires le long des Grands Lacs et cherchaient à contrôler leurs terrains de chasse.

Ces voyages de traite duraient souvent des mois et couvraient des milliers de kilomètres, les coureurs des bois pagayant parfois douze heures par jour. Faire les bagages d’un canoë pour un tel voyage était souvent ardu, car plus de trente articles étaient considérés comme essentiels pour la survie et le commerce d’un coureur des bois. Il pouvait faire du troc pour se nourrir, chasser et pêcher, mais les articles de troc tels que  » les couvertures en toile, en lin et en laine, les munitions, les articles en métal (couteaux, hachettes, bouilloires), les armes à feu, l’alcool, la poudre à canon et parfois même les vêtements finis, prenaient la majorité de l’espace dans le canot « . La nourriture en route devait être légère, pratique et non périssable.

Relations avec les autochtonesModifier

Article principal : Mariage ‘à la façon du pays’

Le métier de coureur des bois nécessitait un contact étroit avec les autochtones. Les autochtones étaient indispensables car ils piégeaient les animaux à fourrure (notamment le castor) et préparaient les peaux. Les relations entre coureurs et autochtones n’étaient pas toujours pacifiques, et pouvaient parfois devenir violentes. En général, le commerce était grandement facilité par le maintien de relations amicales entre les deux groupes. Le commerce était souvent accompagné de cadeaux réciproques ; chez les Algonquins, entre autres, l’échange de cadeaux était une pratique habituelle pour maintenir les alliances. Pierre-Esprit Radisson et ses compagnons, par exemple, « ont établi des relations agréables avec les Amérindiens de l’intérieur des terres en donnant des marchandises européennes en cadeau ».

‘Bourgeois’ W—r, and His Squaw (A French trapper and a Native American woman) 1858-1860, par Alfred Jacob Miller (1810-1874)

De plus, les relations entre le coureur de bois et les autochtones comportaient souvent une dimension sexuelle ; le mariage à la façon du pays (suivant la coutume locale) était courant entre les femmes autochtones et les coureurs des bois, et plus tard entre les femmes autochtones et les voyageurs. Ces unions étaient avantageuses pour les deux parties et, plus tard, les partenaires d’hiver des grandes compagnies commerciales ont également pris des épouses autochtones. En tant qu’épouses, les femmes autochtones jouaient un rôle clé en tant que traductrices, guides et médiatrices, devenant ainsi des  » femmes entre « . D’une part, les communautés algonquines comptaient généralement beaucoup plus de femmes que d’hommes, probablement en raison des guerres. Les autres mariages entre Algonquins avaient tendance à être polygames, un mari épousant deux femmes ou plus. Les relations sexuelles avec les coureurs des bois offraient donc aux femmes autochtones une alternative à la polygamie dans une société où les hommes disponibles étaient peu nombreux.

Pour les commandants militaires français, qui étaient souvent aussi directement impliqués dans le commerce des fourrures, ces mariages étaient bénéfiques dans la mesure où ils amélioraient les relations entre les Français et les autochtones. Les chefs autochtones encourageaient également ces unions, surtout lorsque le couple formait des liens durables et permanents. Les jésuites et certains hauts fonctionnaires coloniaux considéraient ces relations avec dédain et dégoût. Les fonctionnaires français préféraient que les coureurs des bois et les voyageurs s’installent autour de Québec et de Montréal. Ils considéraient les relations durables avec les femmes autochtones comme une preuve supplémentaire de l’anarchie et de la perversion des coureurs des bois.

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