Nous avons discuté au chapitre 1 que bien que la recherche puisse être exploratoire, descriptive ou explicative, la plupart des recherches scientifiques tendent à être de type explicatif en ce qu’elles recherchent des explications potentielles des phénomènes naturels ou sociaux observés. Les explications nécessitent le développement de concepts ou de propriétés ou caractéristiques généralisables associés à des objets, des événements ou des personnes. Alors que des objets tels qu’une personne, une entreprise ou une voiture ne sont pas des concepts, leurs caractéristiques ou comportements spécifiques tels que l’attitude d’une personne envers les immigrants, la capacité d’innovation d’une entreprise et le poids d’une voiture peuvent être considérés comme des concepts.
Savamment ou non, nous utilisons différents types de concepts dans nos conversations quotidiennes. Certains de ces concepts ont été développés au fil du temps grâce à notre langage commun. Parfois, nous empruntons des concepts à d’autres disciplines ou à d’autres langues pour expliquer un phénomène d’intérêt. Par exemple, l’idée de gravitation empruntée à la physique peut être utilisée dans le monde des affaires pour décrire pourquoi les gens ont tendance à « graviter » vers leurs destinations shopping préférées. De même, le concept de distance peut être utilisé pour expliquer le degré de séparation sociale entre deux individus par ailleurs colocalisés. Parfois, nous créons nos propres concepts pour décrire une caractéristique unique non décrite dans les recherches antérieures. Par exemple, le technostress est un nouveau concept faisant référence au stress mental auquel une personne peut être confrontée lorsqu’on lui demande d’apprendre une nouvelle technologie.
Les concepts peuvent également avoir des niveaux progressifs d’abstraction. Certains concepts, comme le poids d’une personne, sont précis et objectifs, tandis que d’autres, comme la personnalité d’une personne, peuvent être plus abstraits et difficiles à visualiser. Une construction est un concept abstrait qui est spécifiquement choisi (ou « créé ») pour expliquer un phénomène donné. Il peut s’agir d’un concept simple, comme le poids d’une personne, ou d’une combinaison d’un ensemble de concepts connexes, comme la capacité de communication d’une personne, qui peut être constituée de plusieurs concepts sous-jacents, comme le vocabulaire, la syntaxe et l’orthographe de la personne. Le premier cas (poids) est un construit unidimensionnel, tandis que le second (compétence de communication) est un construit multidimensionnel (c’est-à-dire qu’il est constitué de plusieurs concepts sous-jacents). La distinction entre les constructions et les concepts est plus claire dans les constructions multidimensionnelles, où l’abstraction d’ordre supérieur est appelée construction et les abstractions d’ordre inférieur sont appelées concepts. Cependant, cette distinction tend à s’estomper dans le cas des construits unidimensionnels.
Les construits utilisés pour la recherche scientifique doivent avoir des définitions précises et claires que les autres peuvent utiliser pour comprendre exactement ce qu’il signifie et ce qu’il ne signifie pas. Par exemple, une construction apparemment simple comme le revenu peut faire référence au revenu mensuel ou annuel, au revenu avant ou après impôt, et au revenu personnel ou familial, et n’est donc ni précise ni claire. Il existe deux types de définitions : les définitions de dictionnaire et les définitions opérationnelles. Dans la définition la plus familière du dictionnaire, un concept est souvent défini en fonction d’un synonyme. Par exemple, l’attitude peut être définie comme une disposition, un sentiment ou un affect, et l’affect est à son tour défini comme une attitude. De telles définitions de nature circulaire ne sont pas particulièrement utiles dans la recherche scientifique pour élaborer la signification et le contenu de ce construit. La recherche scientifique a besoin de définitions opérationnelles qui définissent les concepts en fonction de la manière dont ils seront mesurés empiriquement. Par exemple, la définition opérationnelle d’un concept tel que la température doit préciser si nous prévoyons de mesurer la température sur l’échelle Celsius, Fahrenheit ou Kelvin. Un concept tel que le revenu doit être défini en précisant si nous nous intéressons au revenu mensuel ou annuel, au revenu avant ou après impôt, et au revenu personnel ou familial. On peut imaginer que des construits tels que l’apprentissage, la personnalité et l’intelligence peuvent être assez difficiles à définir de manière opérationnelle.
Figure 2.1. Les plans théorique et empirique de la recherche
Un terme fréquemment associé à un construit, et parfois utilisé de manière interchangeable avec celui-ci, est une variable. Étymologiquement parlant, une variable est une quantité qui peut varier (par exemple, de faible à élevé, de négatif à positif, etc.), par opposition aux constantes qui ne varient pas (c’est-à-dire qui restent constantes). Cependant, dans la recherche scientifique, une variable est une représentation mesurable d’une construction abstraite. En tant qu’entités abstraites, les constructions ne sont pas directement mesurables, c’est pourquoi nous recherchons des mesures de substitution appelées variables. Par exemple, l’intelligence d’une personne est souvent mesurée par son QI (quotient intellectuel), qui est un indice généré à partir d’un test d’analyse et de comparaison de formes administré à des personnes. Dans ce cas, l’intelligence est un concept, et le QI est une variable qui mesure le concept d’intelligence. On ne sait pas si le score de QI mesure réellement l’intelligence d’une personne (bien que beaucoup pensent que c’est le cas), et selon qu’il mesure bien l’intelligence, le score de QI peut être une bonne ou une mauvaise mesure de la construction de l’intelligence. Comme le montre la figure 2.1, la recherche scientifique se déroule sur deux plans : un plan théorique et un plan empirique. Les concepts sont conceptualisés sur le plan théorique (abstrait), tandis que les variables sont opérationnalisées et mesurées sur le plan empirique (observationnel). Penser comme un chercheur implique la capacité d’aller et venir entre ces deux plans.
Selon leur utilisation prévue, les variables peuvent être classées comme des variables indépendantes, dépendantes, modératrices, médiatrices ou de contrôle. Les variables qui expliquent d’autres variables sont appelées variables indépendantes, celles qui sont expliquées par d’autres variables sont des variables dépendantes, celles qui sont expliquées par les variables indépendantes tout en expliquant également les variables dépendantes sont des variables médiatrices (ou variables intermédiaires), et celles qui influencent la relation entre les variables indépendantes et dépendantes sont appelées variables modératrices. Par exemple, si nous affirmons qu’une intelligence supérieure entraîne une amélioration de l’apprentissage chez les étudiants, l’intelligence est une variable indépendante et l’apprentissage une variable dépendante. Il peut y avoir d’autres variables étrangères qui ne sont pas pertinentes pour expliquer une variable dépendante donnée, mais qui peuvent avoir un certain impact sur la variable dépendante. Ces variables doivent être contrôlées dans une étude scientifique, et sont donc appelées variables de contrôle.
Figure 2.2. Un réseau nomologique de construits
Pour comprendre les différences entre ces différents types de variables, considérez l’exemple présenté dans la figure 2.2. Si nous pensons que l’intelligence influence (ou explique) la réussite scolaire des élèves, alors une mesure de l’intelligence telle qu’un score de QI est une variable indépendante, tandis qu’une mesure de la réussite scolaire telle que la moyenne générale est une variable dépendante. Si nous pensons que l’effet de l’intelligence sur les résultats scolaires dépend également de l’effort investi par l’élève dans le processus d’apprentissage (c’est-à-dire qu’entre deux élèves d’intelligence égale, l’élève qui fait le plus d’efforts obtient de meilleurs résultats scolaires que celui qui en fait moins), alors l’effort devient une variable modératrice. Par ailleurs, on peut également considérer l’effort comme une variable indépendante et l’intelligence comme une variable modératrice. Si la réussite scolaire est considérée comme une étape intermédiaire vers un potentiel de gain plus élevé, alors le potentiel de gain devient la variable dépendante de la variable indépendante réussite scolaire, et la réussite scolaire devient la variable médiatrice dans la relation entre l’intelligence et le potentiel de gain. Par conséquent, les variables sont définies comme des variables indépendantes, dépendantes, modératrices ou médiatrices en fonction de la nature de leur association les unes avec les autres. Le réseau global de relations entre un ensemble de constructions liées est appelé réseau nomologique (voir figure 2.2). Penser comme un chercheur exige non seulement d’être capable d’abstraire des constructions à partir d’observations, mais aussi d’être capable de visualiser mentalement un réseau nomologique reliant ces constructions abstraites.